Bien que leurs métiers restent singulièrement différents, l'intérêt général et le maintien d'une économie durable apparaissent comme des missions communes à la Compagnie des commissaires aux comptes et à la Direction des finances publiques.
Explications avec Pascal Rothé, directeur régional des finances publiques Auvergne-Rhône-Alpes et Olivier Arthaud, président de la CRCC Lyon-Riom.
Comment pourriez-vous définir le socle commun qui unit vos deux métiers ?
Olivier Arthaud : Nous travaillons au service de l'intérêt général et c'est un ADN commun. Nous sommes, à notre manière, des gendarmes de l'économie et de la finance, et toujours bienveillants. Nous sommes toujours restés dans une logique d'approche par les risques et de pédagogie. Et notre objectif est surtout de sanctionner les voyous. Ceux qui agissent par méconnaissance sont remis rapidement dans le rang. C'est pour cela que notre taux de refus de certifier est bas (2 à 3 %, Ndlr), car, dans la majorité des cas, nous faisons corriger les comptes. Je constate que l'administration fiscale a beaucoup évolué ces dernières années en rentrant dans cette même logique de bienveillance, avec, par exemple, un échange avec les contribuables de bien meilleure qualité que ce que j'ai connu au début de ma carrière. C'est là où on a besoin de pédagogie si l'on veut être bien perçu, sinon les messages passent mal.
Pascal Rothé : Je confirme ce que décrit Olivier Arthaud, nous partageons cet objectif d'exercer une mission d'intérêt général et de service public. Tout ce qui garantit la sécurité financière, juridique et fiscale est un élément de sécurité pour nos concitoyens et nos entreprises. Je rappelle que, dans l'administration des finances publiques, la dimension fiscale est importante. Je souligne également l'évolution de notre culture au sein de notre administration, via la loi "pour un État au service d'une société de confiance" (qui instaure le principe du droit à l'erreur et modernise le rapport entre le public et l'administration par une série de dispositions concrètes, Ndlr). Notre objectif est de considérer le fait que les contribuables ne sont plus "présumés coupables", puisque plus de 95 % d'entre eux sont, par nature, de bonne foi, certains commettent des erreurs plus ou moins volontaires, et puis il y a "les plus méritants" des fraudeurs que l'on sanctionne dans le cadre de contrôles fiscaux pénalisés. Notre relation avec les commissaires aux comptes est techniquement plus proche qu'avec celle des experts-comptables. Même si les rapports des commissaires aux comptes ne sont pas systématiquement envoyés à nos services, ils revêtent un rôle décisif dans le cadre des contrôles fiscaux que nous conduisons.
Olivier Arthaud : "Nous avons un certain nombre de missions ayant le même intérêt"
Peut-on évoquer des convergences entre vos deux missions ?
O.A. : Sans être présomptueux, nous ne travaillons avec personne en raison d'un niveau de secret professionnel très lourd. Nous échangeons avec le dirigeant de l'entreprise mais nous ne pouvons pas discuter avec les actionnaires en dehors de l'assemblée générale de l'approbation de comptes, ni avec un expert de justice ni avec la police judiciaire, sauf en tant que témoin. Par définition, nous ne pourrons jamais donner d'information à la Direction générale des finances. Pour autant, l'information est publique. Dans un rapport de commissaire aux comptes, quand je fais une réserve sur un compte, c'est notifié. Si le contrôleur des finances publiques contrôle une entreprise, il aura l'information, ceci montre que nous avons un certain nombre de missions ayant le même intérêt. Notre mission d'intérêt général s'oriente vers l'ensemble des parties prenantes d'une entreprise : salariés, banques, clients et fournisseurs. Il ne faut pas oublier qu'en France, le crédit inter-entreprise est très important. Nous sommes garants de toutes ces parties. Nous sommes, quelque part, le garant d'une partie du bon fonctionnement de l'économie, comme l'administration est garante d'une base fiscale qui permet de créer des recettes.
P.R. : Les rapports que l'on utilise sont exclusivement ceux qui sont publiés. Les CAC ont des obligations déontologiques extrêmement fortes. Tout comme, d'ailleurs, les fonctionnaires des finances publiques, notamment celle liée au secret fiscal absolu. Nous sommes dans le même couloir de nage, mais pas concurrents. Ainsi, on ne peut pas dévoiler sur la place publique des informations qui peuvent nuire à la réputation de tel ou tel tant qu'elles ne sont pas avérées. La technique du contrôle fiscal est complexe, donc souvent sujette à interprétation et à jurisprudence, et de fait, éminemment délicate. Notre collaboration avec les CAC n'est pas quotidienne ni inscrite dans le fonctionnement courant de nos relations. En revanche, je crois qu'à l'instar de ce qu'ont fait les CAC de manière plus naturelle avec les experts-comptables, nous aurons tout intérêt à développer des partenariats opérationnels, d'abord parce que nous partageons les mêmes objectifs de mission de service public et d'intérêt général. In fine, cela concourt à un bon fonctionnement de nos organisations citoyennes, économiques et sociétales.
Comment appréhendez-vous l'Examen de conformité fiscale, un outil récent mis en place en 2021 ?
O.A. : C'est un outil de sécurisation pour les entreprises qui va dans le sens de la philosophie évolutive qu'exposait Pascal Rothé. Les entreprises peuvent opter pour un examen de conformité fiscale qu'elles demandent de réaliser à un tiers externe, soit un CAC, un expert-comptable ou un avocat fiscaliste. L'idée est de valider 10 points de contrôle précis. C'est ensuite coché dans la liasse fiscale et donc porté à la connaissance de l'administration fiscale. En cas de contrôle par celle-ci sur l'un de ces points, il n'y aura pas de pénalité de mauvaise foi. Cette démarche, qui reste facultative, augmente le niveau de sécurisation des comptes, dans une logique volontaire.
P.R. : Il faut préciser que cet examen de conformité fiscale n'est pas un pointeur pour l'administration fiscale. Ce n'est pas parce qu'une entreprise a demandé un ECF, que l’on va systématiquement contrôler ses comptes, c'est plutôt l'inverse.
Quel est son objectif précis ?
O.A. : C'est la sécurisation. Le pire pour une entreprise, c'est de ne pas anticiper un risque. Se faire redresser sur un élément que le dirigeant ne soupçonnait même pas sera très mal vécu, comme une injustice. Nous poussons sans cesse les entreprises à passer par un ECF.
P.R. : Il faut bien comprendre que le contrôle fiscal est vertueux, même s'il reste mal perçu. Il vise à vérifier l'application des règles fiscales et à rétablir les règles de concurrence et le libre fonctionnement des entreprises.
Pascal Rothé : "L'effet induit par la facture électronique reste la lutte contre la fraude"
Des échanges entre vos deux instances sont-ils possibles dans le cadre de soutien aux entreprises en difficulté ?
P.R. : Nous n'avons pas institutionnalisé d'échanges techniques entre les CAC et notre administration, en revanche, nous réunissons tous les mois les acteurs institutionnels de la finance : Banque de France, commissaires aux comptes, experts-comptables, Urssaf, CCIR et CMAR. Nous faisons un état des lieux actualisé de la situation de la conjoncture économique en Auvergne- Rhône-Alpes.
O.A. : Nous pouvons effectivement prêcher la bonne parole sur tous les sujets d'intérêt général.
Quid de la facture électronique ? Est-ce une complexité ou une chance pour les entreprises ?
O.A. : C'est un important chantier, aux mille et une vertus, dont celle de la sécurisation de la TVA, qui reste difficile à tracer. La chaîne d'information sera plus sécurisée. Il peut y avoir des gains de compétitivité des entreprises.
P.R. : La facture papier coûte dix euros contre un euro pour la facture électronique. L'effet induit reste la lutte contre la fraude parce que, dès lors que l’on va remonter automatiquement une série d'informations et qu'elles seront croisées avec la data mining, la force de frappe sera décuplée. La facture électronique va aussi permettre de nourrir des bases d'informations statistiques pour mieux orienter les politiques publiques.