L’interview a été réalisée au lendemain de l’inauguration officielle du nouveau siège du Centre international de recherche contre le cancer (Circ) à Lyon. Elisabete Weiderpass, directrice, se livre sur les ambitions de l'institution mondiale, sur son fonctionnement et sur comment le nouveau bâtiment va faire avancer la recherche sur le cancer partout dans le monde.
Au-delà du caractère politique de cette décision, en quoi le maintien du Circ à Lyon avait-il du sens ?
Elisabete Weiderpass : L’implantation du Circ/OMS à Lyon a été facilitée, à l’origine, par la proximité avec le siège de l’OMS (Organisation mondiale de la santé, Ndlr) à Genève. Et bien que sa mission soit de dimension mondiale, les collaborations locales se sont progressivement structurées. Elles ont même bénéficié d’un effet d’accélération à partir des années 2000, avec la mise en place du Cancéropôle Lyon-Auvergne-Rhône-Alpes. La confirmation de sa présence à Lyon, sur un grand site hospitalo- universitaire, qui se distingue notamment par la présence du Centre de recherche en cancérologie de Lyon, avec le centre Léon Bérard et les Hospices civils de Lyon, assure une visibilité internationale à la ville dans la lutte contre le cancer.
Nous travaillons d’ailleurs au renforcement des partenariats avec la communauté scientifique locale, à l’image de notre implication dans le programme ShapeMed@ Lyon, soutenu par l’Agence nationale de la recherche (ANR), ou le Siric Lyrican+, qui est soutenu par l’Institut national du cancer (Inca). Par ailleurs, la présence à Gerland du siège du Circ-OMS, du bureau de Lyon de l'OMS Lyon et de la future Académie de l’OMS, apportent une nouvelle dimension au site lyonnais. La proximité géographique de ces trois entités va renforcer le rayonnement de la métropole lyonnaise en matière de santé publique à l’échelle mondiale.
"Investir dans la prévention du cancer aujourd’hui, c’est donner une chance aux générations futures de vaincre cette maladie"
Vous avez indiqué que ce nouveau site permettrait d’attirer et retenir plus facilement les meilleurs collaborateurs. En quoi le site précédent pouvait-il constituer un frein ?
Le nouveau bâtiment symbolise une nouvelle ère pour le Circ/OMS. Il permet tout d’abord d’accueillir les chercheurs dans des locaux de qualité, avec des équipements de pointe. L’organisation des espaces et des équipes favorisent les interactions entre les branches scientifiques, en les fédérant sur un même lieu. Il facilite aussi la mutualisation et le partage des équipements de recherche sur un même étage, pour encourager les échanges entre les chercheurs de nos différentes entités. Alors que la tour de Grange Blanche proposait une infrastructure dépassée, avec un schéma beaucoup plus cloisonné, toute l’organisation du nouveau siège est pensée de manière à favoriser les synergies et la science ouverte.
Cette nouvelle organisation vise à mieux faire rayonner les travaux du centre, au bénéfice de la lutte contre le cancer. Par ailleurs, notre implantation au coeur du biodistrict de Lyon va faciliter l’émergence de nouvelles collaborations. Le biodistrict de Lyon abrite en effet de nombreux partenaires scientifiques clés, comme l’Ecole nationale supérieure (ENS) Lyon, l’IRT Bioaster ou l'Institut de biologie et chimie des protéines (IBCP) qui représentent autant de perspectives de collaborations. Le Circ travaille aussi avec les agences nationales, en particulier notre voisine l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) sur les liens entre alimentation et cancer. Enfin, notre nouveau siège offre un environnement propice au partage des connaissances. Le bâtiment dispose de plus de 1 000 m2 de salles de réunion, d’un auditorium et d’un espace d’exposition, permettant d’accueillir des manifestations en faveur de la lutte contre le cancer.
Qu’attendez-vous de l’installation du centre mondial de formation de l’OMS à proximité de votre siège ?
La proximité du Circ avec les collègues de l’OMS du bureau de Lyon et de l’Académie de l’OMS permettra de consolider le hub de santé globale au sein du biodistrict de Gerland. Nous pourrons ainsi mieux servir la recherche et renforcer nos liens avec nos partenaires locaux et mondiaux. C’est l’illustration parfaite du concept de science ouverte, qui est au coeur de notre mission.
Elisabete Weiderpass : "Nous travaillons au renforcement des partenariats avec la communauté scientifique locale"
En quoi la vaste "biobanque" installée dans vos sous-sols est-elle essentielle dans le travail des équipes du Circ ?
Cette biobanque joue un rôle clé dans la recherche sur le cancer, en mettant à disposition des chercheurs des échantillons de haute qualité, indispensables aux avancements de la recherche biomédicale, par exemple pour le développement de nouveaux biomarqueurs de détection précoce des cancers. Elle était déjà présente sur le site précédent, mais notre nouveau bâtiment permet son extension. Elle est constituée d’un peu plus de six millions d'échantillons provenant de 87 pays et les nouvelles installations permettront d’accueillir dix millions d’échantillons biologiques provenant du monde entier.
Ses dates clés
1995 : professeure d’épidémiologie médicale à l'Institut Karolinska à Stockholm (Suède).
2007 : cheffe du groupe d’épidémiologie génétique (Centre de recherche Folkhälsan, Finlande).
2019 : nommée directrice du Centre international de recherche sur le cancer (Circ) à Lyon.
2020 : lance le World Cancer Report.
Ce nouveau siège ouvre donc des perspectives de croissance ?
Oui, il va nous permettre de nous agrandir rapidement. Alors que nos 369 collaborateurs étaient à l’étroit dans la tour située à Grange Blanche, nous avons désormais 500 postes de travail dans nos nouveaux locaux. Et je ne prends pas en compte les nombreuses salles de travail et de réunion du rez-de-chaussée. Nous avons donc suffisamment d’espace pour nous développer. Néanmoins, cette expansion est conditionnée à une augmentation de notre budget. Le financement du Circ repose aujourd’hui sur deux ressources principales : les contributions des États participant à notre budget régulier, d’une part, mais aussi les dons et les financements sur subventions dans le cadre d’appels à projets. Pour lancer de nouveaux projets innovants, nous avons les installations, les équipements, la biobanque... Il ne nous reste donc plus qu’à réunir de nouveaux pays dans les rangs des États participant à notre budget et à convaincre les donateurs d’investir plus encore pour la recherche au sein de notre institution. Car investir dans la prévention du cancer aujourd’hui, c’est donner une chance aux générations futures de vaincre cette maladie.
Siège du Circ/OMS à Lyon : une attractivité internationale
Vous avez parlé de mobiliser quelque 1 000 chercheurs. Comment est-ce possible ?
Le Circ travaille avec des collaborateurs dans plus de 150 pays dans le monde. Nous avons créé, au cours des années passées, des réseaux de collaboration internationale, qui ont un impact non négligeable sur la santé globale. Le Global Initiative for Cancer Registry (GICR) a par exemple créé six hubs régionaux pour renforcer les capacités des registres des cancers au niveau mondial. Grâce au travail de nos chercheurs et de nos collaborateurs à travers le monde, nous sommes capables de produire des statistiques globales sur le cancer et nous pouvons influencer ainsi de manière précise les politiques de santé mondiales sur le cancer.
Le Circ dispose aussi d’un système de formation de stature internationale. Ainsi, à chaque moment, il y a au minimum une centaine de jeunes chercheurs venus du monde entier qui travaillent à Lyon, encadrés par nos chercheurs plus expérimentés. Ils restent au Circ quelques mois, voire quelques années, puis retournent dans leurs pays d’origine pour renforcer leur écosystème de recherche nationale. Nous restons bien entendu en lien avec ces jeunes chercheurs, même après leur retour dans leur pays natal, et nous continuons à collaborer sur de nombreux projets. Le Circ bénéficie donc d’un réseau de collaborateurs à travers le monde qui va bien au-delà des 1 000 chercheurs mentionnés. Ce réseau est en constante expansion. Grâce à ses installations de pointe et ses salles de réunion ultra performantes, notamment pour organiser des réunions hybrides d’un bout à l’autre de la planète, notre nouveau siège va vraiment nous permettre de devenir le centre de gravité de ce réseau mondial de collaborateurs.
Entre nous
Son mode de management : un style inspiré des pays nordiques, accordant une place centrale à la délégation de pouvoirs et de responsabilités aux employés.
Ses sources d’inspiration : les personnes et la nature.
Ses lieux ressources : Lyon et Helsinki.
Ses lectures du moment : le dernier roman de Salman Rushdie, Victory city et Prisoners of geography, de Tim Marshall.