AccueilActualitéMuriel Le Romancer, chercheuse en cancérologie : "Être ouvert à trouver des choses différentes"

Muriel Le Romancer, chercheuse en cancérologie : "Être ouvert à trouver des choses différentes"

Chercheuse en cancérologie à Lyon, Muriel Le Romancer travaille sur les traitements du cancer du sein. Elle s'attache à combiner recherche scientifique et application sur les patientes, comme le montre sa dernière étude.
Lors de la séance photo, Muriel Le Romancer, chercheuse en cancérologie le confesse : "Je ne sais même plus où est rangé le matériel. On perd la main quand on n'est plus derrière la paillasse !"
© Flora Chaduc - Lors de la séance photo, Muriel Le Romancer, chercheuse en cancérologie le confesse : "Je ne sais même plus où est rangé le matériel. On perd la main quand on n'est plus derrière la paillasse !"

Actualité Publié le , Propos recueillis par Flora Chaduc

Muriel Le Romancer est chercheuse au Centre de recherche en cancérologie de Lyon (CRCL), directrice de recherche Inserm et cheffe d'équipe. Adepte des énigmes, elle n'hésite pas à aller au-delà des dogmes pour découvrir de nouvelles données scientifiques et trouver des réponses aux échecs thérapeutiques dans le cancer du sein.

Pourquoi vous êtes-vous orientée dans la recherche scientifique ?

Je ne me suis pas dirigée vers la recherche avec un plan de carrière. J'aime bien résoudre des énigmes. Quand j'étais jeune, j'adorais les mots croisés. Je n'arrêtais pas tant que je n'avais pas résolu ma grille. Comme j'aime comprendre les choses et que j'aime la biologie, j'ai été fascinée par la compréhension des mécanismes moléculaires. En arrivant dans un laboratoire pour la première fois, ça a été une évidence.

Qu'est-ce qui vous anime ?

J'aime trouver des choses qui sortent des dogmes. Quand on fait des recherches qui démontrent un mécanisme qui va à l'encontre du dogme, c'est que celui-ci n'est plus valable. On fait de supers découvertes quand on est ouvert à trouver des choses différentes de ce qui a déjà été publié et du chemin de pensée connu. Celui-ci n'est parfois plus valable, justement parce que l'on avance. Comprendre pourquoi un résultat ne correspond pas à ce que l'on sait, c'est dix fois plus difficile. Dans ces cas-là, personne ne vous croit ! Il faut apporter beaucoup plus de preuves. Mais lorsque l'on y arrive, on se dit qu'on a apporté une pierre à l'édifice.

Muriel Le Romancer : "Beaucoup de chercheurs ne croient pas en ce qu'ils trouvent lorsque ça sort de l'ordinaire"

Quelle est votre méthode ?

Quand je trouve un résultat bizarre, s'il est bien validé par tous les contrôles, j'y crois. Je ne me dis pas que c'est un artefact parce que ce n'était pas ce que j'attendais. Malheureusement, beaucoup de chercheurs ne croient pas en ce qu'ils trouvent lorsque ça sort de l'ordinaire. Nous, on va au fond de la chose et souvent on a eu raison.

Selon vous, la recherche n'est plus dans cette prise de risque ?

Pas trop. Parfois, il faut déjà montrer que c'est faisable. Si vous voulez vous lancer dans un sujet sur lequel vous n'avez pas travaillé avant, la faisabilité questionne. Il faut déjà avoir de l'expertise, de la reconnaissance. C'est un gage de confiance si la personne publie à haut niveau par exemple. Si c'est très novateur et porté par une personne moins connue, il devient compliqué de convaincre.

© Flora Chaduc - Muriel Le Romancer est cheffe d'équipe au sein du CRCL depuis 2016.

En quoi votre dernière publication entre-t-elle dans cette logique ?

Elle concerne une protéine connue pour avoir des activités oncogéniques (étude en anglais ou résumé en français). Les entreprises pharmaceutiques fabriquent des inhibiteurs de cette protéine puisqu'elle est péjorative. Pourtant, nous avons trouvé que sa présence était un facteur de bon pronostic dans un certain sous-type de cancers du sein. On a refait l'étude avec une deuxième cohorte de patientes, et le résultat a été confirmé. Cette protéine, selon où elle se trouve dans la cellule, n'a pas la même action. Et dans le cas de certaines tumeurs du sein, son action est antitumorale.

Pourtant, ça allait contre les dogmes ! Évidemment, il a fallu travailler pendant cinq ans mais on est arrivé à comprendre pourquoi. Notre marqueur permettrait de mieux orienter le traitement de ces patientes (30 % des cancers du sein, Ndlr). Il faudrait aller de plus en plus vers des cas particuliers, car chaque patiente est différente. C'est la médecine de précision.

Entre nous

Son style de management : Je suis assez souple, dans le respect de l'individu, sans imposer trop de règles. Je fais confiance aux gens et le tout au maximum dans la bonne humeur.

Ses lectures : les romans policiers, avec une intrigue. J'aime bien Karine Giebel.

Ses inspirations : Simone Veil pour ses combats.

Son lieu ressourçant : L'Île d'Oléron, j'adore y faire du vélo quand il n'y a pas grand monde.

Cette étude a été menée conjointement avec le Dr Olivier Trédan, oncologue médical au centre Léon-Bérard. Comment cette collaboration est-elle née ?

Depuis 2021, je codirige l'équipe de recherche Résistance hormonale, méthylation et cancer du sein (24 personnes, Ndlr) avec lui, dans le cadre d'une logique translationnelle. Entre la recherche fondamentale et la recherche clinique, notre objectif est de transférer des connaissances scientifiques vers les patientes. Tout ce que l'on valide en tumeurs de culture va être confirmé sur des tumeurs fixées de patientes. L'oeil de clinicien d'Olivier permet d'orienter les recherches vers les besoins des patientes. On recale nos développements dans le cadre d'un traitement possible. C'est un grand plus dans nos recherches.

Voyez-vous une différence depuis la mise en place de cette codirection ?

Tout à fait. Cela permet d'être au fait de tout ce qui se fait en cancérologie. Notamment en termes de drogues car on ne peut pas tout connaître. Le Dr Trédan va pouvoir nous dire "non, celle-là n'est pas pertinente pour tel type de patientes". On peut ainsi comprendre les mécanismes des traitements. Parce que, nous allons aux congrès de sciences, mais on ne peut pas aller aussi aux congrès de médecins ! Avec ce regard, lorsque j'expertise des dossiers, je me dis parfois "ce chercheur est à côté de la plaque car pour son modèle, il prend une molécule qui n'est pas utilisée pour ce cancer". Le principe est intéressant mais il ne peut pas être transposé dans la pathologie. Ça me gêne car ce n'est pas pertinent. Mais souvent, les chercheurs ne savent pas que ce n'est pas utilisé.

Muriel Le Romancer : "Une énorme compétitivité sur les appels d'offres"

Lorsque l'on parle de la recherche, on parle aussi de son financement. Qu'en est-il pour vous ?

Les subventions des tutelles du Centre de recherche en cancérologie de Lyon (CRCL) ne représentent que 10 % de nos dépenses. Nous, tous les chercheurs, devons trouver 90 % de notre budget. Il y a une énorme compétitivité sur les appels d'offres. Chaque année, il faut déposer une dizaine de candidatures pour espérer obtenir au moins un financement. La Fondation de France, l'Association pour la recherche sur le cancer (ARC), la Ligue contre le cancer, l'Institut national du cancer… toutes ces structures sont indispensables. Lorsque l'on bénéficie d'une subvention, il faut aussi rendre des rapports d'activités… ça ne s'arrête pas ! Grâce au centre Léon-Bérard (CLB), on a la chance de pouvoir recevoir des dons : soit ils sont non-ciblés soit les donateurs les font en direction d'un projet de recherche en particulier.

"Les contraintes administratives demandent beaucoup d'efforts, et requièrent beaucoup de temps."

Dans cet aspect très administratif, vous voyez-vous plus comme entrepreneuse que chercheuse ?

Non, je me sens plus chercheuse. Mais ces contraintes administratives demandent beaucoup d'efforts, et requièrent beaucoup de temps. Je préférerais faire plus de recherche scientifique que de recherche d'argent. Néanmoins, on reste libre quand on est chercheur, on peut choisir ses thématiques de travail. C'est un luxe de nos jours.

Lyon s'affirme comme l'un des pôles majeurs dans la recherche contre le cancer, à l'image des nouveaux locaux du Circ. En quoi est-ce un avantage ?

C'est une chance. Encore plus quand on évolue au sein du centre Léon-Bérard (l'une des tutelles du CRCL, aux côtés du CNRS, l'Inserm et l'université Lyon 1, Ndlr), qui offre une visibilité nationale et internationale. Il y a aussi une très forte attractivité pour les doctorants. Enfin, c'est un gage de confiance et de reconnaissance pour les demandes de financement.

Le niveau d'excellence porté par le CLB et le CRCL demande-t-il une constante remise en question ?

C'est stressant, il y a une grosse pression. Il faut être au niveau à chaque évaluation. Il faut toujours être performant et publier au plus haut niveau. La seule différence avec le privé : on ne peut pas perdre notre poste (les chercheurs sont fonctionnaires avec un poste permanent, Ndlr).

Qu'est-ce qui vous motive encore ?

La formation des jeunes, j'aime transmettre et les voir s'améliorer. Et puis le challenge. Mon rêve avant de partir à la retraite (elle a 57 ans, Ndlr), serait d'apporter une molécule et un changement en pratique pour aider les patientes.

Les dates clés de Muriel Le Romancer

1993 : doctorat à l'université Paris 7.

1995 : recrutée à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) à Paris.

2002 : arrivée à Lyon au sein de l'unité dirigée par Alain Puisieux.

2013 : directrice de recherche Inserm.

2016 : cheffe d'équipe au CRCL.

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