AccueilActualitéPascal Le Merrer (Jéco 2023) : "L’Europe ne parvient pas à écrire son récit économique"

Pascal Le Merrer (Jéco 2023) : "L’Europe ne parvient pas à écrire son récit économique"

Rendre accessible, compréhensible voire "conviviale" l’économie, c’est la quête de Pascal Le Merrer, fondateur et chef d’orchestre des Journées de l’économie (Jéco) qui se tenaient à Lyon du 14 au 16 novembre.
Pascal Le Merrer est directeur des Journées de l'économie (Jéco) de Lyon, depuis 2008. Son interview s'est faite dans les locaux de la Métropole de Lyon, l'un des partenaires de l'événement, le jour de la présentation à la presse de l'édition 2023.
© Julien Thibert - Pascal Le Merrer est directeur des Journées de l'économie (Jéco) de Lyon, depuis 2008. Son interview s'est faite dans les locaux de la Métropole de Lyon, l'un des partenaires de l'événement, le jour de la présentation à la presse de l'édition 2023.

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Pascal Le Merrer, le thème choisi pour les Journées de l'économie 2023 à Lyon portait sur "nos fragilités", pourquoi ?

Le thème nous est venu naturellement. Il suffisait d’écouter les sujets que l’on voulait traiter lors de nos comités scientifiques et je voyais que l’on était beaucoup moins assurés qu’il y a quelques années sur la manière de faire, sur la conduite du changement. Et l’élément commun aux visions personnelles et collectives s’est révélé celui des fragilités. Les gens le ressentent suite à la pandémie, la guerre en Ukraine et aujourd’hui avec la situation au Moyen-Orient. Sans compter les fragilités environnementales : les sécheresses, les incendies, les tremblements de terre et les tempêtes successives...

On est finalement sorti d’une économie triomphante, qui pouvait surmonter les aléas climatiques, géopolitiques, grâce aux progrès techniques. Aujourd’hui, nous partons dans une direction totalement différente dans laquelle nous sommes vulnérables. Il y a pourtant des changements presque imperceptibles. Je pense par exemple aux budgets participatifs des collectivités. Avant, ceux-ci étaient actés entre élus, aujourd’hui des associations sont créées pour qu’elles puissent intégrer le citoyen dans les débats.

C’est important que les citoyens prennent conscience des difficultés inhérentes au changement et que l’on arrive à les amener sur des sujets majeurs : comme la compréhension de l’importance vitale d’un secteur d’activité pour un territoire, et les problématiques associées des politiques publiques, notamment les mobilités ou l’environnement. Les réflexions inhérentes à ces politiques publiques doivent associer les réalités sociales, donc le citoyen.

Les dates clés de Pascal Le Merrer

  • 2014 : réalisation d'un mook intitulé L'Union Européenne au défi de l'intégration économique.
  • 2008 : directeur des Journées de l’économie à Lyon.
  • 2007 : parution de son ouvrage : Économie de la mondialisation – opportunités et fractures.
  • 2002 : membre du groupe "Mondialisation", Institut Montaigne.

A l’échelon de la planète, on constate un cloisonnement des mondes économiques, avec la réapparition de "plaques" économiques, marquées par les toutes puissances américaines et asiatiques. Quid de l’Europe dans cet échiquier ?

On voit des notions émergées sur ce point, avec de nouveaux mots comme sud global ou nord global. On ne parle plus de l’Occident par exemple. Ce sont des débats de géopolitiques et sémantiques mais il faut aller plus loin. On constate que l’Europe est dans une situation de faiblesse. Elle a été la première zone économique du monde, un temps, et est devenue une zone à très faible croissance. Nous sommes donc dans une situation où les citoyens doivent s’intéresser aux débats locaux, nationaux mais aussi à des horizons plus larges.

La question d’un budget fédéral à l’échelon européen mériterait d’être ainsi débattue. Car actuellement, l’Europe n’est pas capable de monter un financement de transition et de relance à grande échelle pour concurrencer les autres grandes puissances mondiales. A l’inverse, les États-Unis investissent des centaines de milliards de dollars sur des projets tandis que l’Europe a pratiqué de l’austérité budgétaire pendant des années. Si l’Europe n’est pas capable de prendre le relais via un budget fédéral, qui financerait la transition environnementale, on continuera sur la pente d’un déclin.

"L'Europe ne parvient pas à incarner un vrai projet économique"

On constate par exemple un écart de 20 points des revenus par habitant entre les États-Unis et l’Europe depuis 2007, à la faveur de la patrie de l’Oncle Sam. Alors qu’auparavant, les Européens étaient plutôt dans une dynamique de rattrapage.

La zone Euro fonctionne mal car on l’a à moitié achevée. On a construit les murs, la charpente mais pas le toit. Il faut aller plus loin si l’on ne veut pas que la situation se lézarde progressivement. On l’a constaté avec le Brexit qui constitue une fissure marquante. Notamment pour toute une génération qui, comme moi, était tournée dans les années 70 vers l’Angleterre. C’était l’Europe de demain. Aujourd’hui, l’Angleterre s’est retirée du jeu et l’on constate dans le même temps une concentration du populisme au centre de L’Europe. L’Europe n’arrive pas à incarner un vrai projet. Aucun leader politique aujourd’hui d’ailleurs n’est capable d’incarner ce projet. Il y a, à mon sens, un vrai déficit démocratique sur notre Vieux continent. Parmi les pistes de réflexion, le renforcement de la circulation des jeunes en Europe, pas seulement les étudiants mais aussi pour les apprentis, car l’enjeu pour être ouvert, est d’avoir pu très jeune circuler loin de chez soi. En cela la pauvreté a un défaut terrible, c’est qu’elle enferme les gens sur un espace très restreint. A la fin, on ne connaît plus que sa rue, et pas au-delà.

En filigrane, vous évoquez par ce manque de vision, de grand programme européen, un creux narratif pour la suite de notre histoire ?

L’économiste Daniel Cohen rappelait dans son portrait de L’Homo numericus, que nous sommes confrontés au défi d’inventer une nouvelle société avec les idées et les maux de la vieille société que l’on veut quitter. Nous n’avons donc pas les outils pour parvenir à effectuer notre transition. Je pense aussi qu’il manque, chez nos politiques et intellectuels, des gens capables de trouver les mots et l’analyse, pour tracer une voie et faire que tout le monde y voit plus clair.

Après-guerre, il y a eu en France, le temps des grandes planifications avec le lancement d’une histoire de reconquête industrielle autour du nucléaire et la création en 1946, de la grande entreprise publique qu’était EDF par exemple. Et puis, on a basculé dans une période de néo-libéralisme sous l’impulsion des États-Unis, qui ont voulu libéraliser les marchés. C’est une duperie, car ils n’ont jamais laissé les marchés fonctionner seuls.

Les États-Unis aiment avoir une domination technologique sur le reste du monde. Ils s’appuient sur la Darpa, (Defense advanced research projects agency, Ndlr), une structure unique au monde, civile et militaire, qui décide d’investir dans des projets d’innovation d’avenir. C’est ce qui manque en Europe. Dans le cadre du green deal européen qui se dessine, il faudrait justement des fonds publics abondants qui se mettent sur des technologies qui nous rendent moins dépendants des autres grandes puissances.

© JT- Pascal Le Merrer décrit une dégradation économique de l'Europe sur la scène mondiale.

Pascal Le Merrer : "La première source de méfiance, ce sont les autres"

Justement cette transition environnementale ne s'envisage-t-elle pas aussi par une finance, elle-même durable ?

Le monde de la finance est confronté à des mutations. Les banques traditionnelles ont fait face aux banques en ligne. Du coup, elles ont créé leurs propres banques digitales. Il faudrait à mon sens, créer un livret européen d’épargne verte, avec un avantage fiscal valable à l’échelon du territoire. La fiscalité, la dette et l’épargne vont devoir se privatiser et c’est dans ce triangle que l’on trouvera les moyens pour financer cette transition. C’est ce que prônent Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz dans leur rapport remis fin mai à la Première ministre. Cela passe donc nécessairement par des moyens supplémentaires, notamment par un plan d’investissement massif.

Dans ce monde de fragilités que vous décrivez, quel message particulier souhaitez-vous diffuser ?

Il existe une institution invisible, essentielle au fonctionnement d’une démocratie : c’est la confiance. Or celle-ci ne possède aucun ministère, aucune administration. Aux Jéco, nous prônons un renforcement de cette confiance, en les institutions, en nos gouvernants et décideurs. En gardant à l’esprit que la première source de méfiance, ce sont les autres.

Entre nous avec Pascal Le Merrer

Son livre de chevet : La danseuse de Patrick Modiano.

Son rituel du matin : "il est involontaire, c'est celui de mon chat qui a la fâcheuse manie de me réveiller tôt".

Son lieu ressourçant : La Ria d'Étel dans le Morbihan, un bras de mer qui marque par son authenticité bretonne.

Ses inspirations : Sylvie Goulard pour sa disponibilité sincère et son engagement total pour le monde de l'économie.

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