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Sperm Tracker, l'allié scientifique de la police face aux crimes sexuels

Basée à Villeurbanne, la biotech AXO Science a développé Sperm Tracker, un réactif permettant d’analyser les scènes de viol ou d'agressions sexuelles. Un produit dont l’utilité convainc de plus en plus de polices dans le monde.
La biotech AXO Science, basée à Villeurbanne, a développé avec Sperm Tracker un réactif utilisé par de plus en plus de polices scientifiques dans le monde.
© AXO Science - La biotech AXO Science, basée à Villeurbanne, a développé avec Sperm Tracker un réactif utilisé par de plus en plus de polices scientifiques dans le monde.

Actualité Publié le ,

Les crimes sexuels, un fléau universel qui affecte chaque année des centaines de milliers de personnes sur la planète et brise des millions de vie, victimes et proches contraints à une difficile reconstruction.

Aucun pays n’est épargné, et les polices locales ou nationales se trouvent parfois démunies pour rassembler les preuves matérielles suffisantes pour confondre les auteurs de viols ou atteintes sexuelles.

C’est dans ce contexte qu’une société de biotechnologie française, AXO Science, a créé un produit baptisé Sperm Tracker. Comme son nom l’indique, il permet de détecter d’infimes traces de sperme.

AXO Science, une biotech née à Villeurbanne

Ce n’était pourtant pas l’activité première de cette entreprise fondée en 2010 à Villeurbanne et membre de Lyonbiopôle. AXO Science a été créée dans le but d’exploiter un brevet issu de l’ICBMS, une unité mixte de l’Université Lyon 1 et du CNRS, où l’actuel directeur de la recherche et développement - Benjamin Corgier - avait effectué sa thèse.

"La base, c’était de développer et commercialiser un produit de groupage sanguin, destiné aux banques de sang. On a pu développer ce produit et le mettre sur le marché par le biais de la Croix-Rouge de Belgique, notre premier client", se remémore Benjamin Corgier.

"Pendant des années, nous avons effectué du génotypage, c’est-à-dire du diagnostic des groupes sanguins très rares. Objectif, enrichir la base de données pour améliorer la compatibilité entre les donneurs et les receveurs", détaille le responsable recherche et développement.

La police scientifique, une tradition lyonnaise et un écosystème dynamique

Si AXO Science s’est ensuite aventuré dans l’univers de la police scientifique, c’est davantage en raison de la tradition existante à Lyon (Edmond Locard a créé le premier laboratoire de police scientifique au monde à Lyon en 1910) que par le fruit du hasard.

"Un jour de 2015, la police scientifique est venue nous trouver par le biais de mon directeur de thèse, Loïc Blum, qui dirigeait l’ICBMS et avait travaillé au développement du Bluestar, réactif qui a permis d’élucider de nombreuses enquêtes parfois très médiatiques à l’image de l’affaire Flactif au Grand-Bornand", explique Benjamin Corgier.

AXO Science, repérée pour sa capacité présumée à développer d’un point de vue industriel et commercial un produit "cousin" pour détecter les traces de sperme, reçoit une demande claire de la police scientifique lyonnaise pour plancher sur le sujet.

La découverte des techniques utilisées par les enquêteurs tout autant que des conditions dans lesquels des produits dangereux étaient manipulés les convainquent d’aller plus loin.

"Les lampes bleues qui éclairent les scènes de crime, cela fonctionne dans les séries télé, en réalité, elles manquent cruellement de sensibilité et spécificité, on voit tout et rien à la fois et pire, on passe à côté de traces clés", résume Samuel Serraz, directeur marketing et commercial d’AXO Science.

A l’époque, les labos du SNPS utilisaient un test à base de phosphatase acide, manipulant des produits cancérigènes. "Mais c’était la seule solution valable. Il fallait travailler sous hotte, souvent avec un masque à cartouche…", se souvient Samuel Serraz.

Partie pour donner un coup de main au sein de la communauté scientifique lyonnaise - "on pensait que cela allait nous prendre quatre mois" - l’équipe d’AXO Science a mis quatre ans pour développer le premier produit Sperm Tracker. Le tout en collaboration avec l’ICBMS et le laboratoire de police scientifique d’Ecully.

© AXO Science / Sperm Tracker, le réactif développé par la biotech villeurbannaise, permet de détecter des traces de sperme parfois infimes.

Sperm Tracker, un produit made in France

"La formulation ne représentait pas la partie la plus complexe, contrairement à l’industrialisation", pointe du doigt Samuel Serraz.

A la croisée des mondes de la médecine, de la police et de l’administratif, avec leurs normes et règles respectives, patience et opiniâtreté n’ont jamais été de trop. Benjamin Corgier : "On a développé des compétences en interne, afin de maîtriser l’ensemble de la chaine, de la conception à la fabrication. Tout est fait ici à Villeurbanne, c’est du made in France". AXO Science a d’ailleurs reçu le label French Fab.

"Le premier produit est sorti en 2018. Le directeur adjoint du laboratoire de police scientifique d’Ecully, Laurent Penne, a beaucoup poussé pour que cela aboutisse. Lui et ses équipes sont pour beaucoup dans le fait que cela ne soit pas tombé au fond d’un placard" , salue Samuel Serraz.

La création de ce réactif "révolutionnaire" constitue une bonne illustration de la rencontre entre un écosystème favorable et une somme d’individus déterminés.

Quant à AXO Science, société indépendante de 9 personnes dirigée par trois associés (Othello Chartier, Samuel Serraz et Benjamin Corgier), elle a pris des risques en investissant dans Sperm Tracker.

"On a débuté par la France et le laboratoire d’Ecully, puis la solution a été progressivement adoptée par les cinq grands labos de police français du SNPS qui traitent les scellés à Lyon, Marseille, Lille, Paris et Toulouse", indique Samuel Serraz. "Les gendarmes de l’IRCGN utilisent aussi ce produit, et le privé commence à s’y mettre, par le biais des laboratoires accrédités travaillant sur demande de magistrats."

L'innovation au service de la police scientifique

Selon Benjamin Corgier, les avantages sont multiples : "Il y a un vrai bénéfice pour les victimes, car on est certain avec Sperm Tracker de ne pas rater de trace à l’inverse de la détection par lampe bleue. Pour les labos de police scientifique, c’est à la fois un gain de temps et l’assurance de manipuler un produit non toxique. Mais aussi moins d’échantillons négatifs à traiter, donc une utilisation réduite de consommables de biologie moléculaire, qui coûtent chers."

En parallèle du développement de ce produit initial utilisable en laboratoire, une autre idée a germé chez AXO Science.

Samuel Serraz raconte : "On s’est rendus compte qu’ils avaient aussi besoin d’outils sur la scène de crime, pour éviter d’avoir des scellés conséquents à analyser. Pour faire simple, tout finissait au labo, par exemple des énormes sacs de feuilles mortes suite à un viol dans un parc, des tentes… Les laboratoires, en bout de chaîne, devenaient un goulot d’étranglement et le temps de résolution des enquêtes augmentait."

© AXO Science / Les produits créés permettent des gains de temps et d'efficacité aux laboratoires de police scientifique.

C’est comme cela qu’est né le deuxième produit d’AXO Science, baptisé STK Spray. "On vaporise la scène, et on éclaire avec une lampe UV", schématise Samuel Serraz.

"Les vêtements et les literies sont toujours envoyées aux laboratoires mais avec STK Spray, on peut maintenant tester tout ce qu’il n’est pas possible d’envoyer au labo à partir du moment où il s’agit d’une surface non poreuse, une poignée de porte, un évier, un sol en carrelage, un mur, un intérieur de voiture, de l’herbe… C’est un produit sélectionné et financé en partie par l’European Innovation Council", complète Benjamin Corgier.

Le STK Spray est disponible sur le marché depuis 2022 et il a déjà conquis de nombreuses polices dans le monde. "Il existe un énorme engouement pour ce produit-là, simple à utiliser", enchaine Samuel Serraz.

Aux Etats-Unis, un violeur en série confondu grâce au produit d'AXO Science

Aux Etats-Unis par exemple, la tradition est davantage d’effectuer les prélèvements sur le terrain. Le produit a déjà permis de résoudre certaines affaires outre-Atlantique, même si AXO Science doit souvent rester discret sur le sujet.

A Reno (Nevada), la police a toutefois autorisé l’entreprise lyonnaise à communiquer après avoir résolu en 2022 un dossier de viols multiples. L’épilogue d’une histoire assez incroyable : "Nous étions présents sur un salon de police scientifique, à Reno justement. Le lundi, jour d’ouverture du salon, deux CSI (Ndlr enquêteurs) de la Reno PD passent et demandent des informations."

Au représentant de la biotech française présent sur le stand, ils expliquent qu’ils ont balayé un mur à la recherche de traces de sperme dans une école, mais que l’opération n’a rien donné de concluant. Celui-ci leur tend quelques échantillons de STK Spray et les policiers repartent.

Deux jours plus tard, alors que le salon s’achève, les policiers de la Reno PD rappellent le représentant d’AXO Science et lui demandent s’il peut passer dans leurs locaux.

Les enquêteurs lui montrent alors les photos du mur précédemment évoqué, constellé de traces de sperme. Après les prélèvements, les résultats ADN tombent le lendemain et un professeur de musique incriminé est arrêté.

"Un agresseur sexuel commet en moyenne sept faits de ce type avant d’être arrêté"

En l’espèce, il s’agissait de viols avec un schéma sexuel répétitif. Les preuves matérielles repérées grâce au Sperm Tracker ont permis de corroborer les dires de la victime, dans une affaire remontant à huit ans pour les agressions les plus anciennes, quatre ans pour les faits les plus proches.

"C’est typiquement une affaire où la victime n’aurait pas forcément été crue et l’agresseur jamais inquiété, car ils n’avaient pas trouvé de traces", estime Samuel Serraz.

Plus récemment, la télévision chilienne a évoqué une affaire dans laquelle les produits fabriqués par la biotech française ont permis de faire éclore la vérité.

"Un agresseur sexuel commet en moyenne sept faits de ce type avant d’être arrêté. Il faut inciter les victimes à déposer plainte le plus vite possible et donner à la police des outils pour résoudre les enquêtes rapidement. Le coût humain et financier pour la société d’une agression sexuelle est considérable", rappelle Benjamin Corgier.

STK Skin, variation du STK Spray, adaptée à la peau humaine, vient aussi d’être validé. "Ce produit est en train de sortir, il est même déjà autorisé dans certains pays", précise Samuel Serraz.

"On pourra potentiellement retrouver des traces de sperme sur la peau d’une victime qui se présente face à un médecin 24 h ou 48 h après un viol, même si la personne s’est essuyée, nettoyée, et même un peu lavée", explique Benjamin Corgier.

Pour commander ces trois produits, AXO Science exige une adresse professionnelle, reliée à une police. Hors de question de se lancer dans le business de "kits d’infidélité", éthique oblige.

Des marchés à l'international et des centaines de validation en cours

Quant aux marchés, ils sont déjà nombreux (France, Etats-Unis, Japon, Israël, Chine, Colombie, Norvège, Allemagne, Finlande…). "Polices locales ou nationales, c’est assez varié, tout dépend de l’organisation des services de police dans chaque pays", précise Samuel Serraz.

Le cycle de commercialisation s’avère très long, et des centaines de validations en cours actuellement. "Sur la Californie, on arrive à la dernière étape, mais ça fait six ans que la démarche est initiée", illustre-t-il.

Avant d'ajouter : "Nous ne sommes pas la prochaine licorne. Nous ne sommes que des petits artisans de la biotech, mais au moins, nous avons l’impression d’apporter une petite pierre à l’édifice. On estime qu’une victime de viol sur dix dépose plainte. C’est terrible. Si, en partie grâce à notre travail, ce pourcentage augmente ainsi que le taux de résolution des enquêtes, nous serons heureux."

Mais la biotech villeurbannaise ne compte pas s’arrêter là. Outre des projets de recherche en cours en biologie moléculaire, AXO Science imagine déjà de nouveaux produits innovants dans le champ de la police scientifique.

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